La fleur d'or des pauvres

Je m'incline / devant un front blanc / nous avons perdu notre pays / sans avoir pu le quitter / nous sommes appelés / et désignés / par ce qui nous efface il te faut dépeupler ce vide / pour que naisse / une terre nouvelle – vaine ?

Alev Rosenfeld

Je m'incline

devant un front blanc


nous avons perdu notre pays

sans avoir pu le quitter


nous sommes appelés

et désignés

par ce qui nous efface


il te faut dépeupler ce vide

pour que naisse

une terre nouvelle – vaine ?


Vous vous asseyez

dans un désert

assourdissant de sables


l'horizon repoussé

décourage

d'exploration neuve

parce qu'aujourd'hui encore

tu souffres des projets et des buts


horizon –

je partirai à Chypre,

même si je pars vers un mot


je couvre mon œil droit

d'un turban

je ne veux avoir

qu'une moitié de voyante


l'oeil qui reste

me fait un monocle de larmes


combattre veut dire :

se battre avec

et non contre


« contre-bas » - ce mot d'énigme

une immobilité qui bouillonne en contrebas,

la rage silencieuse des rêves trahis


tu comprendras, leur

recherche du bonheur

c'est comme

la recherche d'une vengeance


quiconque voilée pour le haut

du corps et de la tête

est en bas dénudée

(voilà un visage bas sans expression pour eux)


lente étendue sans route, ils –

brûlant les lieux de bois et les habits


le lien nu de l'absence –

ne manque rien,

ruban pris par le vent

loin


« découvrir l'absence » ; entendre comme :

nuire à la lumière


couvrir et découvrir, à l'instant

d'un geste unique et impudique –

la pointe de l'archet découvre son talon en souriant à la corde.

Et inversement.


J'ai peut-être pris part à ce crime, cette guerre

simplement parce que

j'en ai entendu parler


impossible, l'acharné silence

qui nous ronge. Quelle est la place

des mots ?

Agrippés de corps

nous sommes agrippés de corps


ils m'ont reproché la pureté

ils m'ont reproché l'impureté

parce que j'étais coupée-de-nom


chaque fleur a son ange

que tu peux balayer

d'un coup de pied


pardonne mes lunettes – j'ai un soleil dans l’œil


me permettre de voir-noir,

je n'y peux rien ;

la bouche du soleil a des lèvres noires de ceux qui ont bu


cesse, devant moi, devant elle, cesse

et essaie les routes

de dentelles et de ronces


abandonne à pic

la falaise qui devance


ce qui te devance

n'est que vieille médecine

sans oreille ni percussion,

devance ce qui vient

avec les précautions

des aveugles et des sourds


je suis la marchande et l'hôpital

de la beauté de tes accidents


je t'écoute et te parle sans heurt


différents oiseaux ont le bec plein d'eau

ils rassasient les hommes en soif


demeure langue fendue

bifide et lèvres enflées –

la parole te garde

par tes propres paroles à naître


ton cœur humain

bat-il comme d'autres cœurs ?


Cœur est navire

et mon navire est une reine sans équipage

sans promesses

en cale sèche

pas de riches ballots


je ne suis pas marchande

je ramasse des coquillages sacrés


je montre les visages naufragés

sans jamais m'en nourrir


je répète des cycles sans fin

un cheval à mes tempes pour sabots – le sang

je le sens courir et battre

malgré les diagnostics de petites morts

et d'autres drames

sans envergure


le sable ; inchangé depuis que je vis

en mille ans il est rare

qu'une natte soit déployée sous mes pieds


qu'un seuil dise : voici qui est ouvert


depuis longtemps les gens du commun

prennent part à la montagne – qu'est le visage de cette montagne ?

Si tu décris un visage, tu ne le montres pas ;

si tu le montres, il disparaît vite et sans un mot.


Moins qu'un mot, moins qu'une absence dicible

le chiffre est un arrière-nombre

il se moque de sa propriété

il paraît nu, signal nu

en attente de son tracé.

Par quel jeton feras-tu trace rotonde dans le sable indifférent ?


Je suis rare en mille ans

tu deviens rare

nous nous perdons

en moins de temps

que souffle haleté


je suis rare de mille noms

de mille

boutons de jasmin

noms aux lettres déliées dont les appendices

ne souffrent

d'être prononcés


sans que des lèvres les dessinent


ils appellent la sortie des livres

par séquelles d'encres


des oppositions je fais

des dualités inouïes, dis-tu


« la grande simplification »

peut être une grande injustice

ou le construit d'une grande justice


j'irai, simplifiant

ce qui complique tous les « je vais », « j'irai », « je serai »


rugir en paix

dans le remugle

des espoirs éteints –

ressasser les noms des enfants de la violence réelle


en avaler sa langue –

un bouquet de fleurs froides

des poumons à la gorge


tandis que des visages tuméfiés

les yeux ont peine à s'entrouvrir


des amandes s'exilent

d'une terre sèche et crevassée


approfondis la laideur

plus grande et plus profonde

la beauté s'y loge


je ne sais plus à quelle date j'ai perdu le bonheur –

je suis si triste, et pourtant je sais

que j'ai raison d'être triste


jusqu'à la vue du feu

et des souffles brûlants

je traversai encore la roseraie sauvage

à travers temps anciens, ruines et cendres

des mondes survivants


à la recherche de l'extinction

et de l'extinction de l'extinction

j'étais elle

qui portait l'eau du même puits

dans des seaux différents


ce ne sont que des mots, dit-elle

et non l'eau courante des mots

comme mes pieds et mains sont de sable

et non ruissellement

ou minutes de poussière suspendues


sans consistance, la conscience

n'est qu'un parking souterrain

d'où te parviennent

les cris étouffés, les bruits sourds –

la surface

où sont chéries les guerres

et les armes de la richesse

et l'épuisement qui vient